Quel est le lien entre Août, un repas à la campagne, Lentement la beauté et Porc-épic, trois œuvres présentées par le Théâtre la Seizième de 2008 à 2012? Ces trois pièces ont été traduites du français vers l’anglais par Maureen Labonté. Conseillère dramaturgique, enseignante et traductrice, cette femme de théâtre accomplie a traduit plus de 35 pièces québécoises au cours de sa carrière.
1. Comment devient-on traducteur ou traductrice pour le théâtre?
Je suis devenue traductrice dans les années 80 lorsque je faisais de la mise en scène pour un théâtre jeune public à Ottawa. Lors d’un voyage au Québec, j’ai vu une pièce de Suzanne Lebeau que j’ai adorée. Je suis bilingue et j’ai eu envie de faire connaitre aux anglophones ce beau texte. Je me suis donc lancée en traduction. Comme je l’ai fait, la grande majorité des traducteurs pour le théâtre ont eu au préalable une formation ou une carrière en théâtre. On peut étudier la traduction à l’université, mais très peu de traducteurs pour le théâtre ont ce parcours.
2. Qu’est-ce qui différencie la traduction pour le théâtre et la traduction traditionnelle?
Les pièces de théâtre sont des textes qui ont été écrits pour être joués plutôt que pour être lus. Pour bien rendre une pièce de théâtre, il est important de comprendre le métier de comédien et de connaitre les éléments qui font une bonne pièce. Traduire du théâtre demande un certain flair, qui se développe, selon moi, en travaillant dans le milieu théâtral.
3. Pourriez-vous traduire n’importe quelle pièce de théâtre ou avez-vous besoin de partager une certaine affinité avec l’écriture de l’auteur?
En théorie, un traducteur expérimenté peut traduire n’importe quel texte. Personnellement, je trouve que ça aide énormément d’aimer le texte, d’être émue par l’histoire, d’être touchée par les personnages. Une bonne traduction doit transmettre l’émotion. Et c’est plus facile à faire lorsqu’on ressent cette émotion tout naturellement. Comme je ne fais pas que de la traduction – je ne traduis que deux à trois pièces par année -, j’ai le luxe de pouvoir choisir les textes que je vais traduire. Je travaille sur des pièces qui m’allument.
4. Qu’est-ce qui vous a séduite dans Porc-épic de David Paquet?
J’ai connu David à l’École nationale de théâtre, où je lui ai enseigné. C’est quelqu’un que j’estime beaucoup et avec qui je suis restée en contact. En 2010, son texte a été produit par le Théâtre Pàp à l’Espace Go. Je suis allée voir le spectacle et j’en suis sortie complètement emballée. J’ai appelé David et nous avons entamé une collaboration. C’est un grand plaisir de traduire un texte qui a été travaillé avec autant de précision. David est un vrai de vrai auteur. Il sait exactement pourquoi il a écrit ce qu’il a écrit et où il s’en va.
5. Avez-vous rencontré des défis particuliers en traduisant Porc-épic?
Porc-épic est une comédie et traduire une comédie est toujours un défi. L’humour est un élément culturel très spécifique. Ce qui fait rire un francophone ne fera pas nécessairement rire un anglophone. Il faut trouver des ponts entre les deux cultures pour qu’au final, les gens rient aux mêmes endroits, dans la version francophone ou anglophone. Il faut dire que les acteurs font une grande partie du travail. Comme traductrice, je leur fournis un mot amusant ou une expression dont ils doivent ensuite se servir pour provoquer la réaction du public.
Une autre particularité du texte de David est son univers à la frontière du réel et du surréel. Il m’a fallu reproduire cet équilibre délicat alors que, dans la culture anglophone, le théâtre absurde est moins courant. En même temps, le texte est très, très précis. C’est épuré. Comme traducteur, on doit honorer ce travail. Il faut non seulement transmettre le sens et le ton, mais aussi rendre la beauté de la langue.
6. Lorsque vous traduisez une pièce de théâtre, quelle est votre relation avec l’auteur? De quelle façon collaborez-vous?
Typiquement, je fais une première version que je vais partager avec l’auteur à l’occasion d’une rencontre. Je demande alors des précisions et je m’assure que nous avons la même compréhension du texte. Je retravaille ensuite la pièce à partir des informations que j’ai récoltées. Lorsque la nouvelle version est prête, je la revois, scène par scène, avec l’auteur. On travaille alors à peaufiner le texte. C’est une étape que j’adore. Avec David Paquet, qui a un excellent anglais et qui est d’une grande intelligence, nous avons poussé la réflexion autour de Porc-épic très loin et ce fût extrêmement stimulant.
La dernière étape consiste à entendre la traduction lors d’une lecture publique ou d’un atelier avec les acteurs. C’est le test : si les acteurs sont capables de jouer le texte aisément, ça veut dire que le travail est bien fait. Entendre le texte permet aussi d’ajuster quelques détails. C’est une étape qui est importante, mais qui n’est pas toujours rendue possible. Nous avons donc été très chanceux, David et moi, de participer à un atelier autour du texte, au Citadel Theatre à Edmonton.
7. D’après vous, est-ce que le fait que le Canada ait deux langues officielles crée un contexte particulier en matière de traduction?
Il y a beaucoup de traductions qui se font dans les deux sens, et de plus en plus de l’anglais vers le français. On peut observer des cycles au fil des ans. Par le passé, des auteurs comme Michel Tremblay, Michel Marc Bouchard, Evelyne de la Chenelière et Wajdi Mouawad ont suscité beaucoup d’intérêt des anglophones.
Comparativement à l’Europe ou aux États-Unis, chez nous, l’intérêt pour l’autre est vraiment polarisé autour des cultures francophones et anglophones et peu vers les autres cultures. En théâtre, il y a très peu de traduction de l’anglais vers les autres langues. Malgré son multiculturalisme, le Canada demeure marqué par la dualité linguistique.
Porc-épic de David Paquet sera présenté du 16 au 27 octobre au Studio 16 de Vancouver. Les surtitres anglais, créés à partir de la traduction de Maureen Labonté, accompagneront le spectacle les mardis, jeudis et samedis soirs.
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David Paquet participera à la période de questions/réponses qui suivra la représentation du 26 octobre 2012.