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Deux comédiennes, deux générations, deux grands rôles

Dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay, Julie Trépanier incarne Carmen et France Perras, Marie-Lou. À quelques jours de la première, nous avons demandé aux deux comédiennes de nous parler de leur personnage titanesque et de leur carrière.

Trépanier, Julie

Julie Trépanier

Perras, France

France Perras

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JULIE TRÉPANIER

Tu as obtenu un diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada à Montréal, section anglophone, en 2013. Qu’est-ce qui t’a amenée à Vancouver?

Le Théâtre la Seizième! De 2005 à 2010, j’ai habité à Vancouver. Un mois après ma graduation, je suis revenue pour visiter ma meilleure amie, qui célébrait son anniversaire. Craig m’a contactée et nous sommes allés prendre un café ensemble. Le lendemain, j’étais en audition! J’ai lu quelques extraits de textes en français et en anglais. Je me rappelle avoir beaucoup aimé l’atmosphère qui régnait, mais j’étais persuadée que je n’aurais pas le rôle. Quand Craig m’a appelée pour m’offrir de jouer Sophie dans Des fraises en janvier, j’étais surprise et surtout, extatique!

Pourquoi avoir décidé de faire carrière comme comédienne?

J’ai décidé de faire ce métier quand j’étais encore très jeune. À l’école primaire, deux de mes professeurs avaient écrit une pièce de théâtre dans la cadre de nos cours d’histoire. La pièce relatait les grands événements du 20e siècle. Toutes les filles de ma classe voulaient jouer Anne Franck. Il y a eu des auditions et c’est moi qui ai eu le rôle. Ce fut une très belle expérience. J’étais fascinée par l’idée qu’en jouant, on pouvait incarner mille personnes, vivre mille vies. Ça parlait beaucoup à ma curiosité et à mon appétit. Aujourd’hui, je vois davantage le théâtre comme un moyen de prendre une pause, loin du bourdonnement incessant du quotidien et de la vie et de parler aux gens, directement, droit au cœur. C’est un cadre qui permet de dire des choses qui ne se disent pas autrement. C’est très humaniste comme art.

En tant que jeune actrice quels sont les défis que tu rencontres et quels sont tes avantages?

Au théâtre, il y a peu de rôles de jeunes femmes disponibles et les jeunes comédiennes formées sont nombreuses. C’est différent au cinéma et à la télé. Là, les rôles abondent, mais la compétition est tout aussi grande! Au-delà, de cette réalité, mon plus grand défi est de déterminer mes priorités comme artiste. Dois-je m’investir à fond dans le théâtre, tenter de percer au cinéma, faire de la création ou un peu de tout? Les avenues sont nombreuses et je dois trouver la confiance de suivre mes rêves sans me laisser influencer par les autres.

Parle-nous de Carmen, ton personnage.

Carmen est un personnage magnifique et une icône de la dramaturgie québécoise. C’est un personnage récurrent dans l’œuvre de Tremblay puisqu’elle apparaît dans plusieurs de ses pièces. En 1971, quand À toi pour toujours, ta Marie-Lou a été jouée pour la première fois, Carmen incarnait le changement et l’affirmation de soi qui commençait à poindre dans la société québécoise. Carmen est le seul personnage qui voit sa situation avec lucidité et qui décide de s’en libérer, de trouver le bonheur. Elle est plus moderne, plus proche de nous. Comme comédienne, j’ai beaucoup de plaisir à la jouer parce que c’est une femme de passion, une femme de cœur. Je la trouve inspirante, même si elle n’est pas parfaite.

Carmen a rompu avec le passé et est le seul personnage à être sortie de ‘la grande noirceur’. Comment cela se reflète-t-il sur scène?

D’abord par sa coiffure et son costume. C’est une chanteuse western et son style est plutôt flamboyant! Ensuite, Carmen est en mouvement tout le long de la pièce. Elle bouge et se déplace alors que les autres personnages sont très statiques. Sa modernité se reflète aussi par ses idées. Elle est libérée sexuellement et elle poursuit son rêve d’être chanteuse. Elle est davantage dans l’action, à tous les points de vue.

Comme tu as étudié en anglais, est-ce un défi pour toi de jouer en français?

Étonnamment, non! Comme je n’avais jamais joué en français avant Des fraises en janvier, j’appréhendais un peu le changement de langue avant de commencer les répétitions. J’ai découvert, au contraire que je suis plus connectée à mes émotions quand je joue dans ma langue maternelle, le français. Je trouve plus de couleurs! C’est encore plus facile avec À toi, pour toujours ta Marie-Lou. Le texte est en joual, donc la langue est très près du français parlé. La prononciation est plus fluide, ça fait partie de l’esthétique du texte.

Tu partages la scène avec deux acteurs plus expérimentés. Est-ce une occasion pour toi d’apprendre à leur côté?

Répéter, c’est toujours une occasion d’apprendre des autres. Je m’inspire du processus des autres comédiens, de leurs trucs, de leur énergie aussi. Avec Joey et France, en particulier, ce qui m’impressionne le plus, c’est comment ils arrivent à vivre leur vie d’artiste de façon équilibrée, inspirée et fidèle à leurs envies et personnalités. Je trouve ça très encourageant!

Quel personnage rêverais-tu de jouer un jour?

Sur les planches, je rêverais de jouer Satine dans l’adaptation de Broadway du Moulin Rouge, adaptation qui reste encore à être créée! À l’écran, je voudrais incarner Gabrielle ou Adélaïde dans une adaptation de la trilogie Le goût du bonheur de Marie Laberge, un autre projet qui n’a pas encore été réalisé…

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FRANCE PERRAS

Tu as étudié le théâtre à l’Université d’Ottawa. Pourquoi avoir choisi de faire carrière à Vancouver?

J’étais attirée par l’industrie du cinéma et de la télévision qui était très vibrante ici à l’époque. J’avais 22 ans et du front tout le tour de la tête. Je suis allée cogner à la porte de toutes les grosses agences pour leur demander de me prendre comme cliente! Au final, j’ai travaillé sur des plateaux de production, ce qui m’a permis de comprendre comment ça fonctionnait dans l’industrie. J’ai ensuite découvert le Théâtre la Seizième à travers une annonce dans le journal. Alain Jean, qui était alors directeur artistique, m’a reçue en audition. J’ai été engagée pour jouer dans Grande Ourse, avec Joey Lespérance justement. Ce sont tellement de beaux souvenirs! Je me sens chanceuse d’avoir rencontré plusieurs personnes qui m’ont encouragée à poursuivre ma carrière d’artiste.

Tu partages ton temps entre le travail de voix, le théâtre, la télévision, le cinéma et ta compagnie de théâtre BoucheWHACKED! Est-ce que ces activités sont complémentaires?

Oui, tout à fait. Toutes ces expériences s’ajoutent et font de moi une artiste polyvalente qui a plus d’une corde à son arc. Au début, je multipliais les emplois pour survivre dans le métier. Aujourd’hui, je vois ça comme une chance extraordinaire. J’ai un mode de vie taillé sur mesure pour moi, qui me permet de rencontrer beaucoup de gens, d’expérimenter beaucoup de choses et de continuer à apprendre. Ça répond tout à fait à mon besoin constant d’action, de découvertes et de socialisation.

Tu as maintenant plus de 20 ans de carrière derrière toi. Qu’est-ce que cette maturité t’apporte sur le plan professionnel?

Aujourd’hui, j’ai la confiance nécessaire pour faire mon métier avec une certaine sérénité. Je n’ai plus besoin d’encouragements, j’ai confiance en mes moyens et dans la vie que je me suis créée. Je ne retournerais pas 20 ans en arrière. À 40 ans, je connais mes forces, mes faiblesses et je sais ce que j’aime et ce que j’aime moins.

Parle-nous de Marie-Lou, ton personnage. Qu’est-ce qui te plait chez elle?

Marie-Lou est une femme fière, forte, mais surtout, profondément blessée. Comme bien des femmes québécoises de l’époque, elle est insatisfaite de sa vie de femme au foyer, mais elle n’a pas le pouvoir de changer sa destinée. Toute cette impuissance s’est transformée, au fil des ans, en douleur et en ressentiment.

Jouer Marie-Lou, c’est comme jouer Blanche Dubois dans Un tramway nommé désir ou Lady MacBeth. C’est un grand rôle de répertoire. Je dois dire que c’est le personnage le plus difficile que j’ai eu à jouer dans ma carrière jusqu’à maintenant. Je suis contente d’avoir mes 20 ans de bagage professionnel pour pouvoir relever ce défi.

On dit d’À toi, pour toujours ta Marie-Lou, que c’est un chef-d’œuvre de la dramaturgie. Pourquoi, selon toi?

C’est un texte d’une grande beauté, d’une grande profondeur et d’une grande complexité. Michel Tremblay a écrit ce texte un peu comme une symphonie pour quatre instruments. Chaque personnage a sa partition qui interagit directement ou indirectement avec celle des autres. Il y a une musicalité incroyable dans le choix des mots, dans la façon dont les répliques des uns font écho à celles des autres. C’est un énorme défi pour les artistes qui s’attaquent à cette œuvre.

Le texte de Michel Tremblay est écrit avec de nombreux va-et-vient entre le passé et le présent. La conversation de Léopold et Marie-Lou, en 1961, est constamment entrecoupée par celle de leurs filles Manon et Carmen, en 1971. Comment gères-tu ces sauts dans le temps?

Avec une concentration extrême! Jouer requiert toujours un haut niveau de concentration, mais on a affaire ici à un texte plus exigeant que la normale. Nous avons travaillé nos textes comme quatre monologues qui s’entrecroisent. Ça demande une énorme écoute et en même temps une grande introspection.

Tu partages la scène avec deux jeunes comédiennes et un comédien que tu connais bien, Joey. Qu’est-ce qui t’inspire chez eux?

Jouer avec Joey c’est comme enfiler des pantoufles! On a joué très souvent ensemble, et tous les rôles possibles et imaginables. La complicité avec lui est instantanée. Les deux filles, Julie Trépanier et Siona Gareau-Brennan, sont incroyables. Elles sont très inspirantes dans leur démarche, dans leur dévouement et dans leur innocence aussi. Elles sont des partenaires de jeu extraordinaires. Les regarder me ramène dans le passé, puisque j’ai moi-même joué Manon ou Carmen à maintes reprises.

Quel personnage rêverais-tu de jouer un jour?

J’aimerais jouer le rôle-titre dans Médée d’Euripide, une tragédie grecque avec des personnages plus grands que nature. Sinon, je me considère très chanceuse déjà d’avoir eu la chance d’incarner autant de beaux personnages dans ma carrière.

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Pour en savoir plus sur les projets de Julie et France, consultez notre rubrique Le saviez-vous.