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Entrevue avec le gérant des pièces

Yves Bellefleur, c’est le gérant des pièces, comme il aime se présenter. Depuis plus de 20 ans, il accompagne les compagnies de théâtre qui souhaitent tourner au Canada de son quartier général, à Sherbrooke. C’est, entre autres, grâce à lui que des productions comme Bashir Lazhar en 2008, Une maison face au nord en 2010 et Moi, dans les ruines rouges du siècle (à l’affiche du 12 au 16 novembre prochain) traversent le Canada pour se rendre jusqu’à nous, à Vancouver. Intrigués? Nous aussi! La Seizième Édition lui a demandé de démystifier le métier d’agent de tournée.

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Bashir Lazhar d’Evelyne de la Chenelière © Valérie Remise

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Sylvie Drapeau dans La liste de Jennifer Tremblay © Suzanne O’Neill

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Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid © Stéphanie Capistran-Lalonde

Parlez-nous du métier d’agent de tournée. Quel est votre rôle?
Mon travail consiste à faire le lien entre les compagnies de théâtre qui produisent des spectacles, comme Les Trois Tristes tigres, et les structures de diffusion qui accueillent ces spectacles, comme le Théâtre la Seizième. Je m’occupe de promouvoir les spectacles que je représente auprès des diffuseurs et, par la suite, de structurer les tournées. Avec les diffuseurs, je détermine les dates d’accueil et je négocie les cachets. Je m’assure, d’autre part, que les compagnies que je représente aient une vision d’ensemble du travail que représente la mise sur pied d’une tournée. Elles doivent, entre autres, aller chercher les subventions nécessaires, développer des outils de promotion pour les diffuseurs et assurer les déplacements des techniciens, des comédiens et du décor. Je les guide à travers ce processus qui peut être complexe.

Quelles sont les raisons qui vous ont emmené à vous consacrer au métier d’agent de tournée?
Je n’étais pas prédestiné à travailler en théâtre. C’est la vie qui m’a emmené à faire cette carrière. J’ai fait des études en journalisme à Jonquière, après quoi, j’ai travaillé comme animateur radio et dans la presse écrite à Lac-Mégantic. Au bout de 7-8 ans, j’avais fait le tour du milieu et je voulais du changement. Ma femme et moi avons déménagé à Sherbrooke où j’ai travaillé avec une compagnie de théâtre pour adolescents. C’est peu après que j’ai fait la connaissance de Mario Trépanier, chez Summum communications. Je suis devenu son bras droit et, lorsqu’il a quitté la compagnie, j’ai pris la relève. Il y avait alors – et c’est toujours le cas – un réel besoin dans le milieu pour des services comme ceux qu’offre Summum. Aujourd’hui, il y a trois agents en théâtre au Québec. C’est un métier fantastique qui me permet de mettre à profit mes connaissances en communications et ma passion pour le théâtre, tout en étant maître de ma propre entreprise.

Yves Bellefleur

Yves Bellefleur

Vous avez commencé à travailler chez Summum communications en 1995. Depuis, avez-vous observé des changements dans le milieu du spectacle?
Il y a 25 ans, le théâtre de création ne circulait pas beaucoup au Canada. Il n’y avait que le défunt Théâtre Populaire du Québec, le théâtre de Monsieur Jean Duceppe et quelques compagnies marginales qui se risquaient à tourner. Depuis, il y a eu une véritable explosion de l’offre de spectacles en tournée. Avec l’arrivée d’organismes comme Les Voyagements, le théâtre de création a pris beaucoup de place au Québec et dans la francophonie canadienne. De plus en plus de compagnies souhaitent tourner, pour prolonger la vie de leur spectacle. C’est très positif pour les diffuseurs qui ont accès à un plus vaste choix de spectacles au moment de construire leur programmation. C’est positif aussi pour leurs publics qui ont l’occasion de découvrir toutes sortes de compagnies, d’artistes et de démarches artistiques différentes. Malheureusement, la demande des diffuseurs n’a pas augmenté au même rythme que l’offre de spectacles, ce qui fait que les tournées sont plus nombreuses, mais moins longues. Autrefois, un spectacle du Théâtre Populaire du Québec jouait jusqu’à 60 représentations par tournée. Aujourd’hui, une bonne tournée, c’est 25 à 30 représentations. Il y a un décalage entre l’offre et la demande.

Devant cette offre abondante, comment choisissez-vous les pièces que vous représentez? Quels sont vos critères de sélection?
Je trouve que le travail d’agent de tournée est très semblable à celui d’un directeur artistique. Votre directeur artistique, Craig Holzschuh, construit ses saisons théâtrales à partir d’une offre de spectacles. Moi, je construis mon catalogue. Lorsqu’il choisit un spectacle, il prend en considération les attentes de son public et ce qu’il recherche comme signature artistique. Le travail d’agent, c’est un peu la même chose. Je choisis les spectacles que je représente en fonction des attentes des programmateurs et en même temps, je me laisse guider par mes goûts artistiques. Je me fie à mon instinct. Je choisis aussi à l’occasion des spectacles moins conventionnels auxquelles je crois et pour lesquels je vais tenter de trouver des acheteurs. Bien entendu, je me garde à l’affût de ce qui se fait de mieux en théâtre. Une compagnie qui n’est pas prête à tourner cette année le sera peut-être dans deux ans.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans Moi, dans les ruines rouges du siècle?
J’ai travaillé il y a plusieurs années avec Les Trois Tristes Tigres. J’avais jadis été impressionné par Olivier Kemeid, qui travaillait alors à l’Espace libre. C’est un homme de théâtre qui a une démarche artistique unique et une grande aisance à communiquer avec le public. Quand il m’a invité à aller voir Moi, dans les ruines rouges du siècle, j’avais donc un préjugé favorable avant même de voir le spectacle. Mais c’est une fois dans la salle que j’ai été conquis. L’histoire de Sasha qui se confond avec l’histoire de la Russie, ça m’a profondément touché. C’est une histoire extraordinaire, bien ficelée et profondément vraie, avec, en plus, une excellente distribution. Tous les éléments étaient réunis pour mettre sur pied une belle tournée.

Que représente pour vous et vos clients une tournée dans l’Ouest canadien en général, et à Vancouver en particulier?
Pour les compagnies du Québec, se déplacer aussi loin représente un risque financier. Elles doivent souvent s’asseoir et revoir leur budget. Il faut, entre autres, acheter des billets d’avion pour les comédiens, les loger pendant plusieurs jours et déplacer le décor sur une grande distance. Il existe des subventions pour faciliter ce genre de déplacements, mais entre le moment où la compagnie fait une demande de subvention et le moment où elle reçoit la réponse à cette demande, il y a beaucoup d’anxiété et d’incertitudes. Cela dit, les artistes sont toujours très heureux de venir jouer à Vancouver. Pour eux, c’est une occasion extraordinaire de découvrir la côte Pacifique et d’aller à la rencontre d’un tout autre public, dans une salle intimiste. Pour Moi, dans les ruines rouges du siècle, les Trois Tristes Tigres ont tout de suite accepté l’invitation de Craig. Ils avaient un réel désir de venir jouer à Vancouver, malgré les contraintes que représente un tel déplacement.

Moi, dans les ruines rouges du siècle terminera à Vancouver une tournée qui l’a mené dans 25 salles différentes pour une quarantaine de représentations. Comment le spectacle a-t-il été accueilli par le public jusqu’à maintenant?
Je reçois d’excellents échos du spectacle, partout où il passe. Il surpasse en général les attentes du public. Ce n’est pas du tout la tragédie à laquelle on peut s’attendre en lisant le long titre de la pièce (rires)! L’humour est omniprésent et sert à naviguer à travers les moments plus dramatiques. Le public rit beaucoup, mais aussi, il arrive que des spectateurs quittent la salle en pleurant parce qu’ils sont émus. Un diffuseur du Bic m’a d’ailleurs conté qu’après une représentation, un homme d’un certain âge lui a confié: « Vous avez réussi à me faire pleurer. Ce n’est pas mon genre de laisser aller mes émotions, mais ce spectacle m’a énormément touché. » Il y a une grande humanité, voire une universalité, dans l’écriture d’Olivier Kemeid. C’est difficile de ne pas aimer ce spectacle et je suis convaincu qu’à Vancouver aussi, le public sera agréablement charmé.

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Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid sera présenté au Studio 16 du 12 au 16 novembre 2013. Pour acheter vos billets cliquez ici ou contactez-nous au 604.736.2616.